L’élégance du hérisson, Muriel Barbery
« Je m’appelle Renée, j’ai cinquante-quatre ans et je suis la concierge du 7 rue de Grenelle, un immeuble bougeois. Je suis veuve, petite, laide, grassouillette, j’ai des oignons aux pieds et, à en croire certains matins auto-incommodants, une haleine de mammouth. Mais surtout, je suis si conforme à l’idée que l’on se fait des concierges qu’il ne viendrait à l’idée de personne que je suis plus lettrée que tous ces riches suffisants.
Je m’appelle Paloma, j’ai douze ans, j’habite au 7 rue de Grenelle dans un appartement de riches. Mais depuis très longtemps, je sais que la destination finale, c’est le bocal à poissons, la vacuité et l’ineptie de l’existence adulte. Comment est-ce que je le sais ? Il se trouve que je suis très intelligente. Exceptionnellement intelligente, même. C’est pour ça que j’ai pris ma décision : à la fin de cette année scolaire, le jour de mes treize ans, je me suiciderai. »
La première est une "pauvre" concierge peu élégante, la deuxième une ado surdouée suicidaire issue d'une famille de riches bobos socialistes comme on dirait de nos jours.
Renée est l'archétype de la concierge laide, solitaire et avec l'air négligé physiquement qui ne parle qu'à son chat, Léon (hommage à Léon Tolstoï), tout à fait "c'est la mère Michel qui a perdu son chat". En traversant son appartement, on ouvre une porte et on tombe sur un autre univers: cette porte dévoile toute une série de livres qu'elle a plus lu que tous les intellectuels riches/pauvres (peu importe) réunis et pas n'importe quelles pensées: Tolstoï, Les Frères Karamazoff... Qui soupçonnerait une concierge de lire? Certainement pas les bourges de ce 7, rue de Grenelle comme elle dit! Aussi face à eux elle se cache et joue à cache-cache avec ses voisins/clients, se tait et/ou revêt son déguisment de hérisson bourré de piquants à l'extérieur mais si l'on regarde dans son intérieur on s'aperçoit que c'est une "créature" très douce et terriblement élégante, comme dit Paloma. Pourquoi se sache-t-elle ainsi? Et si la peur du mélange entre les "classes" pouvait la détruire et que ce cocon secret de livres la protégeait?
Paloma, elle, est dans une famille qui joue à cache-cache. Elle se cache derrière ses lunettes, son bureau, son lit, dans les placards "Paloma, pourquoi est-ce que tu te caches?" déplore sa mère qui semble réveler la typique bourgeoise en peignoire de soie qui a fait des études littéraires et se cachant elle sous un masque de toutes sortes d'antidepresseurs, Paloma dit. Sa soeur aînée se cache derrière des Etudes de philo à Normal Sup' en choisissant un sujet valorisant que n'importe quel philosophe psychanalyste de la vieille école appreciera. On ressort des téhories que tout le monde sait depuis longtemps, on fait un schmurtz de leurs pensées à travers 50 pages et voici la philosophie sorbonienne! Son père, un parlementaire socialiste sacache comme beaucoup de ces gens là dans son Parlement: un gigantesque emicycle où l'on est à la fois anonyme, mais quand on est trouvés, plus moyens de revenir dans sa cachette. D'ailleurs Paloma finira par venir se cacher chez Madame Michel car "toutes ses cachettes ont grillées". Elle derrière l'enfance et l'entrée dans le monde des adultes. Elle a depuis longtemps rejeté le premier et déplore déjà celui qu'elle ne connait pas encore d'elle-même mais que celui renvoyé par le système socio-capitaliste dont elle est issue la déçoit déjà. Elle veut déjà partir, mais où? Dans les flammes sans aucune trace? Ou veut elle traquer "le toujours et le jamais"?
Au milieu d'elle, arrive un nouveau voisin Kakuro Ozu. Rien à voir avec le célèbre cinéaste japonais comme dit celui-ci. Il est riche reste simple. Lui ne se cache pas, il revient aux fondements de l'être humain et renouvelle ce que peut être celui-ci. Il le fait à travers le changement de décoration bobo du propriétaire précédent, en décorant à l'effigie de ses origines. Dans la parole, il le fait en parlant d'une manière claire et douce. Il révèle le naturel et laisse échapper à Madame Michel sa culture cachée et au fur et à mesure la fera sortir de sa cachette. La cachette de Madame Michel est grillée et si elle n'a nulle part où se réfugier, elle entrera dans ce nouveau monde où on ignore "le statut social des uns et des autres pour privilégier la mise en valeur des gens beaux de l'intérieur."
L’Elégance du hérisson joue avec les paradoxes grâce à des personnages discrets mais sensibles et philosophes, le tout finement relevé d'une pointe d'humour.